Révolution domestique

Publié le par antes-ou-depois-da-chuva

Il y a des révolutions qui arrivent par la petite porte. Le 2 avril, le Sénat brésilien a promulgé une proposition d’Amendement Constitutionnel, déclarant que les employés domestiques ont désormais accès aux mêmes droits que l’ensemble des travailleurs brésiliens. C’est-à-dire une semaine de 44 heures, avec 8h par jour, un paiement des heures supplémentaires et une paye qui ne peut être inférieure au salaire minimum.

Vous ne voyez rien d’anormal à ça ? Et oui, mais ici, ça a été un débat de société, tout le monde avait un avis sur la question. « C’est scandaleux, 8h par jour, comment on va faire pour faire garder les enfants maintenant ». « Ah non, je ne vais pas payer les heures supplémentaires, avec tous les jours que je libère quand mon employée est malade ». « J’ai pas encore parlé à mes patrons, je sais pas comment leur dire que maintenant, ils peuvent plus demander tout ça ». Phrases parmi d’autre que j’ai entendu ces dernières semaines…

Il y a encore 8 millions de brésiliens (surtout brésiliennes d’ailleurs !) qui travaillent comme domestiques, c’est le premier employeur au Brésil. Mais seulement 30% sont déclarés officiellement, avec des patrons qui payent leurs droits sociaux.

Quand je suis arrivée au Brésil, j’avais du mal à m'y faire. Ca me gênait, ces femmes qui faisaient tout à ma place quand j’allais chez des amis. Puis petit à petit, j’ai compris qu’on ne pouvait pas regarder ça avec des yeux d’européens. Ces femmes sont souvent analphabètes et trouveraient difficilement un autre travail. En même temps, elles sont souvent bien traitées, font partie de la famille, s’occupent des enfants comme des mères.

Et les temps changent, elles dorment de moins en moins sur place, ont leur propre vie à côté. Certaines préfèrent travailler juste à la journée, elles gagnent plus, et n’entrent plus dans une relation d’exclusivité avec une seule famille. Et avec le développement des services, celles qui ne veulent plus travailler comme domestiques arrivent plus facilement à trouver un travail dans un restaurant, un hôtel. Et souvent, avec des meilleurs droits. On n’est plus dans une relation de dépendance.

Je m’étais donc résolue à avoir une employée. Un jour par semaine. Pour m’apprendre à faire la cuisine amazonienne et pour qu’on n’ait pas à passer notre samedi à faire le ménage. Et je ne regrette absolument pas. Leida est parfaite, je n’ai rien à demander ou contrôler, tout est bien mieux que si je le faisais. Et surtout, elle est ma lucarne sur un autre Brésil. Elle me raconte la vie dans les « invasions » (c’est comme ça qu’on appelle les favelas à Belem), les efforts de ses deux fils pour entrer à l’université, ses tribulations dans les hôpitaux publics, son enfance à la campagne, où son père avait des plantations de poivre et même un tracteur, et bien d’autres choses. Certaines choses, j’imaginais déjà, de ce que je vois dans les rues, à la télévision.

Mais une chose que je n’imaginais pas, c’est les coulisses de la vie d’employée, ces choses qui se passent en privé, dans le domicile de ces riches maisons. Les humiliations quotidiennes… Un député forçait toutes ses employées à se vêtir un rayé blanc et rose, même pour aller faire les courses dans la rue, et ne donnait rien à manger de toute la journée. La mère d’un patron s’asseyait face au frigo pour être sûr qu’elle ne prenne rien dedans pour elle et passait derrière tous les endroits où elle avait nettoyé, pour vérifier le travail. Après avoir travaillé 10 ans pour une haute fonctionnaire d’état, et avoir demandé sa démission après s’être presque fait battre par son fils, elle s’est rendue compte que celle-ci disait déclarer officiellement son salaire, mais qu’elle n’avait rien payé à la caisse sociale. Heureusement, elle a pu gagner en justice, et celle-ci paye aujourd’hui encore les droits qu’elle aurait dû payer à l’époque.

Je ne sais pas si la loi changera toutes ces relations, mais j’ai quand même l’impression que les jeunes générations n'envisagent plus les domestiques de la même manière. Le modèle mis en avant à la télévision est celui des Etats-Unis ou de l’Europe : là, présentent les émissions, les femmes de ménage roulent en voiture et c’est elles qui choisissent où elles veulent travailler. Un bloger réagit : « On dit qu’on va vers le modèle européen, mais les conditions sont com-plè-te-ment différente. En Europe, ils peuvent acheter des carottes et des pommes de terre épluchées au supermarché, alors que nous, on ne peut pas se passer de domestiques… » ah, c’est donc ça la différence, les carottes épluchées au supermarché…

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